[exclusif] Interview Michel Gutierrez: Video DownloadHelper, une e-Success Story française

Edit septembre 2011: les 100 millions de téléchargements ont été passés 🙂

Plus de 40 millions de téléchargements, 5 étoiles, près de 1600 critiques, voilà les chiffres étourdissants qu’on peut lire sur la page de téléchargement des Addon FireFox pour DownloadHelper. Selon son auteur, c’est le logiciel français le plus téléchargé au monde. Rien que ça! 🙂

Le hasard fait qu’un jour je m’intéresse à ce logiciel et que je tombe sur un nom qui m’est familier. Après vérification, il s’agit bien de mon vieux camarade de promo d’école d’ingé, mon cher binôme de dernière année (1991). A l’époque nous avions partagé ces 6 mois de travail : lui il codait, moi je lui jouais de la guitare. Mais pour la belote et le pastis, on faisait 50/50. Oui, on a eu la belle vie, on se plaint pas. 🙂

Donc je vais pas te la jouer journaliste, Michel Gutierrez est un pote, mais comme son aventure est assez exceptionnelle dans le domaine du web, je me suis permis de demander à Michel de nous raconter un peu tout ça. C’est un peu long, on a pris le temps, on parle de sa vie d’entrepreneur, de son plugin FireFox bien sur mais aussi de Twitter, Chrome, Google Wave, si avec des mots clé comme ça tu lis pas la suite!… 😉

Let’s go!

JCF: Bonjour Michel, commençons par toi si tu veux bien. En quelques mots, qui est Michel Gutierrez? Age, formation, parcours professionnel, …

MG: Bonjour Jérôme,
Alors, j’ai 41 ans (avec un 42eme anniversaire qui se profile), un diplôme d’ingénieur ESIEE en poche, ce qui m’a permis, si ce n’est d’apprendre les bases de l’informatique, en tout cas de côtoyer les grands de ce monde. Tu as bien sûr compris que je parlais de toi, mon binôme préféré.

J’ai ensuite travaillé dans le développement logiciel, en particulier du software embarqué dans la téléphonie puis les réseaux, sur Paris, Montpellier puis Sophia-Antipolis. J’ai « terminé » cette période de ma vie professionnelle en dirigeant les services de R&D d’Intel sur Sophia. Lorsqu’Intel a fermé toutes ses activités de développement hors processeurs en Europe, fin 2001, cela m’a donné un peu de temps pour me réorienter vers quelque chose qui m’avait l’air plus amusant: les technologies Web.

Il s’en est suivi une suite de petites aventures dans des startups qui n’ont pas  starté, avec toujours une idée fixe: il y a des choses à faire dans l’extraction de données depuis le Web. J’ai donc développé plusieurs logiciels très intelligents et très compliqués, que presque personne n’a utilisé car ils demandaient trop de technicité de la part des utilisateurs.

Jusqu’à ce que j’ai besoin de récupérer une vidéo depuis une page Web.

JCF: Ca a commencé comme ça ?

MG: Oui, il y a bientôt 3 ans. J’ai cherché une extension Firefox pour faire le boulot et je n’en ai pas trouvé de bonne. Comme j’avais les compétences techniques, je m’y suis mis. Cela m’a pris un dimanche pour écrire la première version. Lorsque j’ai publié l’addon, à ma grande surprise, j’ai eu plus de 5000 installations dans la journée. Je me suis dit que je tenais peut-être quelque chose.

Alors je me suis mis à améliorer le produit, version après version, en écoutant les retours des utilisateurs, et j’ai surveillé mon rang dans les listes de popularité des addons Mozilla. Depuis 18 mois, DownloadHelper est soit premier soit second 🙂

JCF: Veux tu présenter en 2 mots ton produit dans l’hypothèse folle que certains ne connaitraient pas son utilité?

MG: Vu très simplement, il s’agit d’un petit ajout à Firefox qui permet de télécharger sur son disque une vidéo que l’on est en train de regarder dans une page Web. Lorsque Video DownloadHelper détecte la vidéo, il fait bouger un petit icone dans la barre d’outils, et en 2 clicks, cela se retrouve sur son disque.

Si on creuse un petit peu, il s’agit de bien plus que cela. DownloadHelper fournit un moyen d’associer une vidéo détectée à un service. Ce service peut être « Télécharger », le besoin le plus fréquent, ou bien « Télécharger puis convertir », mais aussi « Copier l’adresse de la vidéo dans le presse-papier », « Envoyer la vidéo ou l’audio vers son téléphone mobile ». Dans quelques jours tu verras aussi « Twitter la vidéo » puis « Commenter la vidéo via Google Waves ».

En fait, DownloadHelper fournit une API qui permet à n’importe qui, s’il a les connaissances techniques requises, de brancher son propre service.

JCF: Parlons un peu technique: quel est l’environnement de développement?

MG: DownloadHelper est développé quasi-exclusivement sous Linux. En ce qui me concerne, je n’ai pas trouvé d’OS qui soit plus confortable. J’ai quand-même quelques machines sous Windows XP et Vista pour les choses spécifiques à ces systèmes et les tests.

Sinon, j’utilise Eclipse pour écrire et versionner le code.

JCF: As-tu toujours eu à l’esprit de livrer DownloadHelper sous forme de plugin  FireFox ou as-tu pensé à une version desktop?

MG: En fait, le code de DownloadHelper est très lié à la plateforme Mozilla. Le portage vers quelque chose d’autre n’est donc pas aussi simple. Ceci dit, je travaille actuellement à une extension permettant de réaliser les captures en sniffant directement les packets réseaux dans le système. Cela permettra déjà de porter DownloadHelper sur d’autres navigateurs, mais surtout, petit écart un peu technique, de pouvoir reconnaitre les vidéos streamées sous le protocole RTMP et donc de rendre DownloadHelper plus puissant. Cela fonctionne déjà dans mon environnement de développement, il n’y a « plus qu’à » en faire un produit 😉

Je ne suis pas sûr qu’une version desktop soit très pratique, mais si les utilisateurs le demandent, pourquoi pas.

JCF: Comment se passe la soumission d’un plugin aux grands gourous de Mozilla?

MG: Tout se passe depuis le site addons.mozilla.org. Il y a une interface pour les développeurs. On soumet la nouvelle version (ou nouvel addon), puis on attend qu’un administrateur la contrôle. Le code est lu afin de vérifier qu’il n’y a pas de trous de sécurité – c’est toujours une angoisse, très justifiée, pour Mozilla – puis si tout est OK, la version est publiée.

Si on a une certaine renommée, tout cela se passe en 1 ou 2 jours. Sinon, cela peut prendre des semaines, voire des mois.

JCF: aujourd’hui sauf erreur tu es tout seul sur DownloadHelper. Comptes-tu t’agrandir?

MG: Tu fais erreur mon cher Jérôme, je ne suis pas tout seul. Outre le fait que j’ai embauché ma femme pour s’occuper du sale boulot – l’administratif, j’ai une petite dizaine de partenaires, une vingtaine de traducteurs et environ 2000 bêta-testeurs.

Pour te dire la vérité, je n’ambitionne pas de rattraper Google dans la course à la domination du Web, mais tout simplement d’améliorer encore ma qualité de vie – j’ai déjà le meilleur job du monde, pour un informaticien bien sûr 😉

Donc pour moi, exploiter le potentiel de DownloadHelper passe par le développement de nouveaux partenariats plutôt qu’une croissance interne.

JCF: DownloadHelper c’est une marque? une société? C’est quoi ton statut professionnel?

MG: DownloadHelper, c’est une marque. J’ai créé une société, une EURL, pour gérer les revenus de DownloadHelper – payer des impôts, tout ça 🙂 – je suis donc chef d’entreprise.

JCF: A l’heure des Hadopi et autres LOPPSI, les questions juridiques sont-elles un soucis pour toi? Es tu bardé d’une ribambelle d’avocats conseils ou bien avances tu tranquillement sans te poser ce genre de question puisqu’après tout tu ne fournis  évidemment qu’un outil.

MG: C’est une bonne question, que l’on me pose souvent. Soyons clair, je ne cracke aucune protection installée par qui que ce soit. Il ne faut voir dans DownloadHelper qu’une version améliorée et dédiée vidéo de la fonction « Save image as… » que l’on trouve dans tous les navigateurs.

De plus, je suis basé en France, et nous avons ce droit à la copie privée, que nous payons assez cher, qui nous permet de copier les médias que nous consultons à des fins personnelles. Evidemment, cela ne donne pas le droit à mes utilisateurs de faire n’importe quoi avec ce qu’ils ont téléchargé, mais ce n’est plus de mon ressort et de toutes façons hors de mon contrôle.

Il faut aussi prendre en compte le fait que DownloadHelper n’utilise que des méthodes génériques pour sauvegarder les fichiers. Les seuls qui pourraient éventuellement m’en vouloir, c’est YouTube, seule exception à la règle que je viens d’énoncer. Mais Google (je rappelle qu’ils possèdent YouTube) fait le forcing pour que je porte DownloadHelper sous Chrome, leur nouveau navigateur. Ils m’ont d’ailleurs invité le mois dernier à leur conférence développeur à San Francisco, où j’ai rencontré les programmeurs et product managers de Chrome – au passage des gens très sympas et super compétents. Leurs principales questions tournaient autour de « Que doit-on ajouter à Chrome pour que DownloadHelper puisse tourner ? ».

JCF: le plugin est disponible sur la page dédiée de FF. De ton côté tu maintiens un site à ton enseigne. Veux tu nous donner quelques chiffres sur les téléchargements, les pages vues, pour donner une idée du succès de ton bébé?

MG: Video DownloadHelper vient de passer les 40 millions de téléchargements. Selon Mozilla – et je n’ai pas de raison de ne pas les croire, mais je n’ai pas de réel moyen de vérifier – il y a 4.5 millions d’utilisateurs actifs. En moyenne sur une journée, DownloadHelper est installé pour la première fois, à peu près une fois par seconde.

Pour ce qui est du site, http://www.downloadhelper.net, il fait environ 10 millions de visites par mois.

JCF: Hébergé à la maison? Un serveur comme ça, ça doit pouvoir te chauffer la baraque  toute l’année.. 🙂

MG: Non, bien sûr. Je loue des serveurs chez OVH. Mais je dois dire que les ordis de la maison chauffent quand même pas mal 🙂

JCF: Je ne vais pas te demander des montants (quoique si tu veux te lacher 😉 ), mais comment te rémunères-tu? J’imagine que la question revient aussi souvent: comment gagne-t-on sa vie sur le web avec un produit gratuit? 🙂

MG: En général, on n’ose pas me poser celle-là 🙂 Sans être particulièrement vénal, il faut bien reconnaitre qu’un peu d’argent, ça aide quand on fait les courses.

Je ne me lâcherai pas, désolé, mais je peux dire que je gagne correctement ma vie. Ceci de 3 façons:

1- je commercialise un logiciel de conversion vidéo qui s’utilise avec DownloadHelper
2- mes utilisateurs adorés me font des dons – ben oui, la charité quoi !
3- je fais de la publicité sur mon site

JCF: As-tu des objectifs, des idées dont tu veux nous parler (ou pas) ou bien restes-tu pour l’instant consacré à DownloadHelper.

MG: Tu veux dire à part être le premier homme à poser le pied sur Mars ? J’ai plein d’idées et de choses que je souhaite faire, mais toutes tournent autour de DownloadHelper. Je serais bien bête de ne pas profiter de la visibilité que me donne le produit et de recommencer quelque chose d’autre à partir de zéro.

C’est un des avantages de DownloadHelper sur la plupart des autres « top-addons », j’ai encore une grosse marge de progression au niveau des fonctionnalités, mais aussi des idées de produits connexes pour rendre l’environnement de l’extension plus attractif. Il y a aussi l’aspect communautaire et interactif de www.downloadhelper.net que je souhaite développer car c’est dommage d’avoir tous ces visiteurs sur un même site et de ne pas leur permettre de s’exprimer et partager leurs expériences et points de vue.

Je souhaite aussi développer l’aspect humanitaire derrière DownloadHelper. J’ai mis en place un « groupe de prêteurs » chez Kiva – un organisme de micro-crédit, à découvrir sur http://www.downloadhelper.net/kiva.php – mais je voudrais aller beaucoup plus loin en proposant aux clients qui veulent acheter le logiciel de conversion vidéo, plutôt que de me payer 20 euros, d’en prêter 200 via Kiva pour obtenir le produit. D’après mes calculs, cela devrait permettre de nourrir pas mal de gens. Mais ce n’est malheureusement pas si simple à mettre en oeuvre.

En bref, de longues soirées en perspective 🙂

JCF: Quelle proportion de ton temps consacres-tu au développement aujourd’hui? Cela reste-t-il ton activité principale ou bien es-tu devenu plus un business man?

MG: Probablement un bon tiers de mon temps en moyenne mais c’est très variable selon les périodes. Le reste du temps se répartit entre le support de mes utilisateurs – il y en a quand même 4 million et demi -, la gestion du site Web, la recherche de nouveaux sites vidéos à rajouter à mes listes – tu n’as pas idée du nombre de fesses que je vois chaque semaine ! -, l’exploration de nouvelles idées et technos, et puis aussi effectivement, « discuter business » avec plein de partenaires potentiels à travers le monde 🙂

C’est certainement l’aspect le plus sympa de mon boulot: être partout à la fois – sauf à la comptabilité, ça c’est vraiment pas mon truc 😉

JCF: Bon, je pense qu’on va pouvoir boucler, sinon on va écrire un bouquin 😉 Je te remercie et te souhaite évidemment toujours autant de réussite pour les années à venir. Un grand merci à toi et j’espère à très bientôt in real life comme on dit! 😉

MG: Merci à toi et à bientôt.

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PS: Si vous avez des questions à lui poser, il n’est pas impossible que Michel suive un peu ce post. 😉

PPS: inutile de venir m’objecter que c’est du copinage! Ce n’est pas du copinage, c’est du potage!

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